Suchen
Freiburg

Rituel

L’hiver touchait à sa fin et la tribu devait partir. La chamane porta son regard vers le sud et le Mol’Heon, la montagne sacrée de son peule. Elle n’y découvrit pourtant aucun signe du jeune Kalhaha. Avait-il été emporté par la crue qui, il y a deux lunes, avait englouti la vallée d’une boue rougeâtre ? Avait-il été pris en chasse par la meute des loups gris ? Ou les hommes des ruines avaient-ils rompu la paix avec les siens ? 

La matriarche pouvait accepter la perte de Kalhaha, qui rejoindrait le Val et tous les héros qui, avant lui, avaient péri au cours du rituel. Mais le guerrier portait avec lui la Relique sacrée, une gourde ciselée dans un mystérieux métal brillant, cent fois plus solide que celles faites d’os ou de bois et bien plus légère que les outres de peaux. A chaque échec du rituel, les guerriers de la tribu avaient retourné ciel et terre pour la retrouver et la ramener. Car sans elle, il ne serait plus possible de recueillir l’Elixir. Et sans ce breuvage magique, la chamane ne pourrait accomplir les gestes ancestraux qui permettrait à son peuple de recevoir les bienfaits des dieux : un été frais, une chasse abondante et de nombreuses naissances pour remplacer les pertes des grandes chaleurs. 

Les légendes racontaient que, jadis, bien avant la séparation des tribus, le miroitement avait lieu chaque année et que, bien souvent, les chamanes captaient eux-mêmes l’Elixir au pied des grottes de la plaine. Lorsqu’elle était petite, la Chamane avait même entendu dire que, parfois, les ancêtres qui avaient édifié les ruines priaient même pour que les montagnes blanches n’avalent pas leurs villages. 

Mais cet hiver, plus que tous les autres, la Chamane était troublée. La montagne n’avait toujours pas brillé, pas une seule fois. La prise des augures avait annoncé l’événement pour l’équinoxe : c’est pour cette raison qu’elle avait envoyé le jeune homme il y a deux lunes pleines, pour veiller au sommet sacré. 

Soudain, une clameur s’éleva d’un groupe de femmes qui démontaient les tentes de peau. Le grondement sourd des chasseurs, imitant le brâme du cerf, se joignit à la cacophonie. La chamane scruta la foule qui se mouvait vers l’entrée de la grotte où elle venait de se lever et sourit soudain. Kalhaha se frayait un chemin parmi ses frères et soeurs. Enfin, son regard croisa celui de la chamane. Il était froid, vide, désespéré. Il brandit alors la gourde, faisant retentir un tintement creux. Cet hiver 2157, aucune neige n’avait blanchi le Mol’Heon.