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Freiburg

Mélopée

Depuis toujours, Milo parlait aux plantes et celles-ci n'avaient pas de secrets pour lui. 

Ou presque ... 

Un après-midi, alors qu'il flânait en ville, ses oreilles furent piquées par des sons étranges. Il les suivit et déboucha sur la place de l'Hôtel de ville. Son regard fut happé par le tilleul qui y trônait. Son visage s'illumina. Il s'assit sur le banc au pied de l'arbre et goûta ce chant inconnu. 

Charmé, il revint chaque après-midi. Chaque fois, il fermait les yeux et se laissait emporter vers des rivages souterrains inconnus, dans une nuit qui n'en est pas une. 

Petit à petit, il commença à percevoir d'autres voix. Il comprit que chaque plante est reliée aux autres, que cette mélopée était relayée par de plus en plus de végétaux, que leur tristesse deve-nait douleur. 

Lui qui ne s'était jamais vraiment soucié des autres commença à raconter cette souffrance pour la faire cesser. Tout d'abord, ses semblables le trouvèrent cocasse, il amusait la galerie. Puis, il commença à déranger, il faisait obstacle à ceux qui voulaient tout bétonner. Avec le temps vint la peur. Ils le traitèrent d'illuminé, ils l'aliénèrent. Pour son bien, pour le remettre sur le droit chemin. 

Mais dans son asile aux murs blancs, Milo continua à parler de la mélopée déchirante. Plus personne ne l'écoutait mais il était persuadé du bien-fondé de son entreprise. Le seul qui l'en-tendit, c'était le vent. Attristé, celui-ci passa le message aux saisons, aux montagnes et même aux animaux. Tous reprirent la plainte végétale, y ajoutèrent leurs douleurs. 

Mais Milo fut le seul à s'en rendre compte. 

Un soir, alors que cela faisait de nombreuses années qu'il se morfondait, il fut réveillé en sursaut par un cri universel. Livide, il se sauva dans la nuit mugissante. Ses pieds nus claquèrent sur le bitume, il heurta les vieux murs de molasse, accrocha le regard des clochards. 

Finalement, il déboula sur la place de l'hôtel de ville. Tout était à sa place, le banc, le tilleul. 

Mais Milo n'entendait rien. Habitué au moindre murmure végétal, son ouïe était plongée dans le noir. Le chant des plantes avait cessé. Il s'approcha et sursauta ! L'écorce du tilleul, autrefois forte, s'était fendue, révélant des crevasses qui laissaient perler des larmes de sèves qui coulaient sur le tronc et allaient rejoindre les pavés. 

Horrifié, Milo poussa un long hurlement dans la nuit. 

Puis ce fut le noir. 

Depuis ce jour, il n'entendit plus le moindre chuchotis, il ne parla plus, ne tenta plus rien. 

Le monde s'était tu.