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Freiburg

Déboires conjugaux

Assise dans un fauteuil rouge, les coudes enfoncés dans les accoudoirs, Dame Nature se tient courbée en avant, l’air hagard. La peau craquelée de son cou se serre dans sa gorge. Ses jambes, croisées l’une sur l’autre, sont alourdies et manquent de sève. La pointe de son pied gauche frétille nerveusement :

- C’est mon mari, Docteur. Je n’en peux plus. On dirait que sa seule passion est de se faire les nerfs sur moi. Chaque fois qu’il rentre du travail, dans son costume bleu pétrole, il me toise avec dédain. Cette moustache cirée sous son teint gris, cette moue. Un regard qui vous donne le sentiment d’être un sac à poubelle. Ça vous met en pièces. Je ne suis pas une femme légère, et je vais peut-être vous choquer, mais parfois j’ai des envies de divorce.

Elle se passe une main sur le front. Ses cheveux frisent sur le sommet du crâne à la manière de broussailles. Sous sa caresse, ils crissent comme de la corde.

- Pourquoi ce mépris ? Je sais que la routine tue l’amour mais j’estime mériter le respect. Vous savez comment il m’appelle ? Chameau !

Un sourire douloureux se dessine sur ses lèvres blanches. Le coin de ses yeux de biche se plisse en pattes d’oie :

- Parfois je me dis que je le mérite. Un vrai paillasson à plat ventre devant lui. Il me dit : « Apporte ceci », je le lui donne ; il me demande cela, il l’obtient : « Oui, Monseigneur, à votre service ! » Le pire c’est qu’il se plaint : « Ton ragoût est fade. Ton riz est sec. Tes courgettes ont un goût de plastique.». Où je trouve le temps de donner de l’arôme à mes légumes, la force d’équilibrer mes recettes ? Au lieu de me lancer des reproches, il devrait me vénérer de lui offrir ses trois repas. Mais non, embourbé dans le canapé du salon, les hurlements de la télévision en bruit de fond, il me jette au visage ses remarques acides entre deux bouffées de son infect cigare.

L’homme assis en face d’elle pose son carnet et lisse sa barbe :

- Divorce, vous disiez ?

Elle pose ma main sur son col vert amande, passe un doigt sur sa gorge :

- Je n’y pense pas sérieusement. Jamais je n’abandonnerai mon gros chat. Comment survivrait-il sans moi ? On a eu nos belles années. Notre couple n’attend qu’un nouveau printemps…

Une larme amère glisse sur sa joue :

- Je ne me fais aucune illusion, Docteur. Mais je vous le dis, il ferait bien de se tenir à carreau. Vous savez, parfois je sens bouillir en moi des tempêtes que ni lui ni moi n’avons envie de voir déferler entre nous.