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Freiburg

Coeur réchauffé

Mon bureau à l’Université de Fribourg : je l’occupe depuis si longtemps que lui et moi ne faisons plus qu’un. J’y ai fait mes débuts alors que j’étais encore dans la quarantaine et que les métiers de la communication étaient en pleine effervescence. Puis j’y ai vieilli, et j’y suis restée. Ma plume et mes logiciels de graphisme ont été remplacés par des méthodes beaucoup moins humaines et beaucoup plus polluantes, mais je suis restée. L’Université s’est vidée peu à peu de ses étudiantes et étudiants, que les hautes études proposées sur Saturne intéressent bien davantage. Et comme il y avait suffisamment de place dans les locaux de Miséricorde, je suis restée. Mes collègues de bureaux se sont succédés ; moi je suis restée.

Je suis comme une pierre volcanique qui ne se laisse pas affecter par le temps qui passe : coeur chaud devenu froid au contact de l’air.

Une stagiaire m’a empaillée, et je suis restée. J’ai vu disparaître les professeurs comme d’autres ont vu disparaître les dinosaures. J’ai vu l’homme s’adapter aux contraintes climatiques alors que d’autres espèces auraient lâché prise. Et je suis restée, témoignage d’un temps où les arbres fleurissaient encore dans les rues de Fribourg et où l’air pouvait se faire frais dans les bureaux.

Puis j’ai cessé de décrire et de communiquer ; je me suis mise à observer. Observer les glaces qui fondent et s’engouffrent dans les souvenirs. Observer les feuilles qui tombent et que le vent ne ramène pas au printemps suivant. Et j’ai réalisé que les inquiétudes les plus terribles de mes congénères se sont réalisées, et que les géographes et les climatologues avaient tous dit vrai sur le réchauffement climatique. Mais j’ai réalisé bien pire encore : en ne cherchant pas à empêcher cette terrible évolution climatique, nous avons perdu notre humanité.

Nous nous sommes réchauffés : coeur tiède devenu chaud au contact du temps.