Suchen
Freiburg

Au fond du garage

  • Eh, pousse-toi un peu. J’peux plus souffler moi !
  • Oh, eh … doucement. Y des années que j’suis là moi !
  • Ouais ben désolé mais t’es pas tout seul. Le vieux est venu ce matin. Il devait ranger le garage. Ordre de la vieille, tu vois le topo !
  • La vieille, comme tu dis, je l’ai connue alors qu’elle était haute comme trois pommes. Tu as sûrement déjà entendu parler de moi. A l’époque, je faisais le bonheur de tous les gamins.
  • Et tu t’appelles ?
  • Alpin 7. Avec moi, les enfants faisaient leurs premiers pas dans la neige, enfin tu vois ce que je veux dire.
  • Ah oui, je me souviens bien de tes fixations à lanières, pas vraiment au point ! Regarde un peu les miennes, c’est des Salomon. Le top des tops. En fait, je m’appelle Head. Head comme…
  • Oui bon, pas besoin de faire la grosse tête !
  • Tu partais où toi ?
  • J’allais au Mamelon. On partait directement de la maison. On traversait la route et hop, à nous les descentes. Bon, avant de descendre il fallait d’abord monter la piste en escaliers pour tasser la neige tombée durant la nuit. Et y en avait des paquets.
  • Le Mamelon ? C’est une station de ski ça ?
  • Oui, sur la colline de Cormanon, la station où tous les gosses de mon quartier apprenaient à skier.
  • T’es jamais allé plus loin ?
  • Mais oui. J’ai fait les cours des quatre jeudis au Lac-Noir. Les gosses montaient en bus et moi, on me lançait dans la remorque. Ça secouait, j’aimais pas ça…
  • Et toi la grande gicle, t’allais où ?
  • Je montais aussi au Lac-Noir mais moi je jouais dans la cour des grands. Je dévalais les pentes du Kaiseregg à la godille pour épater les filles. Le vieux, il avait une sacrée technique ! Avec ses copains, il m’a emmené ensuite à la Berra, à Charmey. C’était les grandes années !
  • Les grandes années ?
  • Oui, un jour, on a décrété que j’étais trop grand, trop difficile à maîtriser. Monsieur Carving était arrivé et on m’a flanqué au fond du garage, juste à côté de la luge Davos.
  • Et Carving, il quitte souvent le garage ?
  • Non. Il me semble qu’il est victime du même syndrome que toi et moi. Le mal des Préalpes. Ça commence par un peu de température, tu n’y fais pas vraiment attention et un jour ton heure est venue. Tu comprends que tu ne reverras pas la poudreuse à moins qu’on t’emmène sur de très hauts sommets.
  • Alors tu ne sers plus à rien…
  • On te remise au fond du garage, comme témoin du passé…
  • Et tu te fais tout petit pour laisser la place aux nouveaux vélos.