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Freiburg

Alba

Assise dans l’herbe, au bord de la Sarine, Lucie respire l’air clair de la mi-octobre. Un léger coup de poing sous sa peau la fait sourire. Elle glisse son regard sur ce petit monde qu’elle renferme. 

Un peu plus loin, sur son rocher, Alba s’applique. Toute son attention est concentrée sur sa boule chocolat. L’enfant tord le cou pour éviter de pencher le cornet. Sa petite langue tente tant bien que mal d’empêcher la catastrophe, mais des gouttes crème dégoulinent sur sa jupe ciel parsemée de pois multicolores. 

La glace fond. 

Une main posée sur son ventre, Lucie savoure la scène de ses yeux noisette. Comment ne pas s’attendrir ? L’enfant fait tout pour maintenir un équilibre. Comme si sa vie en dépendait. C’est beau cette pleine consécration à une tâche. 

Alba ne décroche pas un instant du précieux cornet. Le soleil brûle, sur ses genoux, inonde les pois bigarrés de crème glacée. Alba s’ingénie à éviter le pire. Mais de la hauteur de ses quatre ans, elle ne s’en sort pas. 

La glace fond. 

Le regard de Lucie tourne au marron foncé. La glace s’échappe désormais du fond du biscuit. La petite fille ne sait plus où donner de la tête. La panique envahit son visage innocent. Trouve reflet sur les traits de la future maman. 

Déjà quand Alba l’a reçue du glacier, le chocolat dégoulinait le long du biscuit. Désormais, sous son air préoccupé, la boule menace de tomber à chaque instant. Un plaisir si délicieux mérite mieux que de finir en flaque sur ses genoux. Mais dans la tête de la fillette résonne une voix nasillarde. 

Trop tard, c’est fichu. 

La glace a fondu. 

Il n’en reste plus. 

Alba secoue la tête. Tente de la chasser. Mais elle a beau chercher à s’en défaire, elle revient. Le refrain l’envahit. Sa détresse croise le regard de Lucie. L’incohérence de la température estivale claque comme une évidence. 

Lucie est saisie. L’inquiétude de l’enfant dépasse l’histoire d’une simple boule glace. Alba n’aspire pas à sauver le monde. Mais déjà, ce douloureux sentiment d’impuissance s’insinue sous sa peau. 

La terre fond. 

Lucie veut vivre. Et savoir que ses enfants pourront survivre. Dire demain sans craindre qu’il ne soit pas. Pour le doute, il est déjà trop tard. 

Onde de choc. 

Au bas du pont de Saint Jean, les pieds troubles dans l’eau de la Sarine, Alba sent une main se glisser dans la sienne.